Certes Courbet n’a pas rencontré Cézanne. Mais Cézanne a pu mesurer l’œuvre de Courbet et dire combien sa dette vis-à-vis de lui était forte. Il y a ce mot de Cézanne à Rivière et Schnerb venus rendre visite au Maître d’Aix au temps de l’atelier des Lauves en janvier 1905. Le peintre commente son tableau des Grandes Baigneuses : « J’ose à peine l’avouer, j’y travaille depuis 1894. Je voulais peindre en pleine pâte comme Courbet ».
L’exposition ambitionne de mettre en parallèle des œuvres des deux peintres, à travers des thèmes qui montrent que l’enjeu pictural de l’un et de l’autre se correspondent de manière parfois étonnante. En tout cas une parenté artistique profonde est à reconnaître.
La vie des deux peintres offre des parallélismes étonnants. Provinciaux, chacun d’une région fortement identifiée par la nature et l’histoire, [l’un est enraciné en Franche-Comté (vallée de la Loue), l’autre en Provence (pays d’Aix)], les deux hommes « montent » à Paris, lieu de toute modernité, pour devenir peintre.
Issus de milieu aisé, ils appartiennent à la bourgeoisie provinciale. L’un et l’autre entendent, comme peintres, vivre indépendants, mais ils s’appuient aussi sur la richesse matérielle de leur famille respective. Le père de Courbet est un propriétaire terrien, mi-paysan, mi-bourgeois qui souhaite voir son fils devenir polytechnicien ou avocat. On connaît les ambitions du père de Cézanne, Louis-Auguste, artisan fourreur devenu banquier à Aix, il engage son fils à faire du droit. Dans l’un et l’autre cas, on connaît la suite. Le fort enracinement familial de chacun de ces hommes leur a donné un goût terrien du réel, accompagné d’un solide bon sens paysan : la vie n’est pas un rêve, et l’on ne contemple jamais mieux le ciel que lorsqu’on a les deux pieds sur un sol pierreux ou terreux !
Au collège de leur adolescence, chacun des peintres connaît une amitié forte avec un futur écrivain ou poète. Pour Courbet, il s’agit de Max Buchon, pour Cézanne d’Emile Zola. Cézanne jouera à Paris de son accent méridional ; Courbet ne se départira pas de son accent franc-comtois.
L’exposition Courbet/Cézanne entend se construire dans un jeu d’identité et d’opposition que la vie des deux artistes révèle et que leurs œuvres démontrent.
Le parcours muséographique : une lecture thématique croisée
Les autoportraits : Deux peintres fascinés par leur propre image
L’un et l’autre peintre multiplient picturalement les autoportraits. Courbet avoue : « J’ai fait dans ma vie bien des portraits de moi au fur et à mesure que je changeais de situation d’esprit. J’ai écrit ma vie en un mot » (lettre à Alfred Bruyas, 3 mai 1854). Cézanne n’écrit rien sur ce sujet, mais s’auto-portraitise quelque vingt-cinq fois.
Le nu : Deux peintres hantés par le corps, particulièrement le corps féminin
Les deux peintres composent des tableaux de femmes nues dont le caractère érotique est évident. Cézanne emploie dans sa jeunesse une expression brutale pour exprimer meurtre, viol, débauche quand Courbet emploie des formes et textures d’une rare sensualité pour peindre des femmes endormies après l’amour. Cézanne aboutit au thème des « Baigneurs » et « Baigneuses ». Courbet se voudra plus érotique. Sans doute, faut-il reconnaître que la référence baudelairienne à la femme à la fois vierge et courtisane, mère et putain, hante les deux peintres. De là, sans doute, une tension jamais résolue dans l’œuvre de Cézanne comme celle de Courbet, tension faisant apparaître le corps féminin à la fois délicat et monstrueux, éblouissant et charnel, timide et agressif, « O Beauté, monstre énorme…» chantait déjà Baudelaire !
La nature morte : Deux peintres soucieux de « pommes »
Courbet développe le thème des « pommes » lors de son emprisonnement à Sainte Pélagie. Ces fruits devenant les métaphores de sa solitude, de sa tristesse. Cézanne s’est reconnu dans ce travail lent et opiniâtre. Peindre des natures mortes signifiant que seul le rapport aux réalités quotidiennes de la vie importait en peinture !
Les figures et portraits : Deux peintres attentifs aux hommes et femmes de leur entourage
Courbet et Cézanne peignent les membres de leur famille, leurs amis, leurs mécènes…
Cette exposition voudrait exprimer la recherche de la vérité en peinture à partir de la confrontation au réel de deux peintres fondateurs d’une nouvelle esthétique de l’art au XIXe siècle.